Ce qui surprend d’abord, en rencontrant Gildas, c’est la chaleur de son accueil et la simplicité de sa relation aux autres. Dessinateur, peintre, modeleur, sculpteur, mais aussi musicien, Gildas est un créateur aux multiples facettes, patiné de culture bretonne, pour ne pas dire de culture tout court.
Désireux de créer une ferme pour supporter la toiture d’un bâtiment, Gildas fait abattre quelques uns de ses chênes par ses enfants dans les années 2000. L’un d’entre eux, de forme courbe, semble parfaitement convenir à la confection de la ferme. Le bois coupé doit sécher préalablement à son usage et pendant 5 années, la pièce courbe va devoir affronter à l’extérieur les attaques répétées du soleil, de la pluie et du vent. Ce ne sera pas sans dommage et la pièce courbe issue du chêne va finir par présenter quelques fissures C’est en 2009 qu’un charpentier va réaliser l’assemblage premier de la ferme et c’est une année plus tard que Gildas décide de la travailler. Après avoir renforcé la structure par deux pièces métalliques, sa première idée est d’alléger la pièce qui est énorme et approche la demi-tonne, tout en conduisant doucement le regard au-delà des blessures du bois.
Gildas témoigne lui-même de sa démarche :
« L’assemblage se devait d’être résistant, mais je voulais aussi que ce soit agréable à l’oeil ! Or, avec cette masse au-dessus de la tête et le bâtiment très petit, je devais absolument l’agrémenter. Petit à petit, avec les sculptures, l’entrai [NDLR : la « corde » de l’arc que représente la ferme] est devenu plus agréable à regarder. Ce fut ensuite le tour du poinçon [NDLR : la « flèche » de l’arc]. Par ailleurs, l’un des entrais présentait des fissures disgracieuses. Pour les dissimuler, la solution était d’attirer l’oeil par un ensemble de lignes en circonvolution. Et puis, le reste allait s’imposer : il faut continuer !
Je n’imaginais pas à ce moment-là que j’étais très loin de la fin. Les scènes anthropologiques vont venir les unes après les autres, au fur et à mesure de mes progrès en sculpture, en particulier des aptitudes à exprimer la gestuelle si riche des corps en action. La grande scène de mise en gerbe des céréales est issue d’un dessin d’Olivier Perrin. »
Gildas est d’abord dessinateur, peintre, modeleur d’argile et sculpteur sur bois. J’ai pu à cette occasion découvrir quelques unes de ses oeuvres :
C’est donc très naturellement que Gildas choisit, pour alléger la ferme, de sculpter la pièce en partant des thèmes qui lui sont chers et que lui inspire la Bretagne qu’il aime et qui l’habite. Il cherchera son inspiration dans ses deux éléments majeurs que sont la terre dont il a pratiqué nombre de métiers et la mer qui a constitué de tout temps sa proximité de vie.
Pour ce faire, Gildas va engager, pour chacune des sculptures imaginées, plusieurs phases successives :
- chercher l’inspiration dans les lectures, les échanges, les photographies (voir notamment ci-dessous la photographie du père de Gildas avec ses 4 chevaux et la sculpture qui en est inspirée), les dessins et modèles, notamment des plus anciens
- dessiner à partir de ces modèles, mais en laissant son inspiration s’en écarter autant que nécessaire, pour faire surgir après un long temps de réflexion, ce que sera l’expression finale qu’il veut figer dans le bois
- pour les formes les plus simples, en partant de chacun des dessins, élaborer un patron en carton qu’il va falloir évider pour permettre une bonne retranscription sur le bois
- dessiner les motifs à la mine de plomb sur les éléments choisis de la ferme
- marquer les contours au ciseau à bois
- évider le bois à l’intérieur du motif
- pour les motifs les plus complexes, préparer les modèles sur de l’argile avant de sculpter sur bois (scènes « du vivant » notamment). En effet, la plasticité de l’argile permet de rechercher les meilleures restitutions d’attitude des modèles à sculpter
La ferme se présente en quatre pièces fondamentales que connaissent bien les architectes et que symbolise parfaitement une arbalète:
- le poinçon (la flèche de l’arbalète)
- l’entrai (la corde de l’arbalète)
- les deux arbalétriers (les deux côtés constitutifs du corps de l’arbalète)
Compte-tenu de la complexité de l’ouvrage à réaliser, Gildas a d’abord commencé par sculpter des motifs simples et répétitifs sur l’une des faces de l’entrai :
Puis viennent ensuite les motifs plus délicats, sur la face antérieure de l’entrai, reprenant notamment certains animaux emblématiques du bestiaire celtique :
Gildas a ensuite voulu reproduire sur une autre face de l’entrai un alphabet des anciens bretons d’Armorique, tel qu’estimé par par le moine capucin Grégoire de Rostrenen en 1732 dans son « dictionnaire François-Celtique« , qui est parti de trois sources distinctes mais absolument concordantes qui l’ont inspiré (un ancien Calice de l’Abbaye de Landevenec, une Croix de Pierre en Plou-Sané, les pierres de taille du château de Leza∫coët près de Douarnenez) :
Les trois deniers symboles dessinés par Grégoire de Rostrenen, par leur originalité et leur absence de tout lien avec d’autres symboles linguistiques, laissent penser que cet alphabet a sans doute pu servir à transcrire quelques unes des sonorités spécifiques au langage celte :
Sur la face postérieure de l’entrai figurent d’autres sculptures avec notamment la mention de l’année du début d’élaboration de l’oeuvre (2000) et la signature de Gildas.
Est venu ensuite le temps de la confection des arbalétriers qui vont décrire des scènes issues de la tradition religieuse et mythologique bretonne comme de la vie rurale d’antan, qu’il s’agisse de la gravure de St Gildas en mer, attaqué par le dragon que terrassera Saint Tugdual, ou bien encore des scènes de pêche, de fête, de labour, de semailles.
C’est ici sans doute la partie la plus complexe de l’ouvrage qui totalise à ce jour plus de 10000 heures de travail, été comme hiver, par des températures parfois négatives qui conduisaient alors Gildas à se munir de gants de soie recouverts de gants de laine pour pouvoir continuer à sculpter le chêne.
L’ouvrage n’est cependant pas encore totalement achevé et Gildas prépare désormais l’une des dernières pièces qu’il intégrera sur l’arbalétrier gauche et qui mettra le point final à l’ouvrage. Restera alors pour lui à décider de la destination ultime de cette belle oeuvre : la maintenir dans sa finalité initiale et l’insérer dans le bâti ou peut-être plutôt l’exposer aux regards des bretons et au-delà, de tous les amateurs d’art celtique. C’est cette dernière option que ses enfants lui ont recommandée. C’est aussi celle pour laquelle armorique milite activement. Soyez nombreux à partager cette page du site auprès de vos amis car cela aidera sans aucun doute Gildas à faire un bon choix !
Il nous reste à remercier Gildas d ‘avoir bien voulu nous ouvrir les portes de son atelier et aussi un peu de son âme et ainsi d’avoir pu apprécier la beauté de ses réalisations, témoignages historiques et durables de notre culture partagée. Merci Gildas !